Par Caroline Dommen, Institut International du Développement durable
Contrairement à ce qui avait été prévu depuis la fin de l’année dernière, la Conférence ministérielle de l’OMC, qui se tient à Genève cette semaine, n’adoptera pas la Déclaration ministérielle de sur le commerce, l’égalité des genres et l’autonomisation économique des femmes. Au lieu de cela, le Botswana, le Salvador et l’Islande, qui co-président le groupe de travail informel sur le commerce et l’égalité des genres au sein de l’OMC ont publié une brève Déclaration (“statement”) sur le commerce inclusif et l’égalité des genres lors de l’ouverture de la Conférence ministérielle le dimanche 12 juin. La Déclaration résume ce que le groupe de travail informel de l’OMC sur le commerce et le genre a fait au cours de l’année précédente, et affirme la détermination des co-présidents “à poursuivre les travaux sur le commerce et l’égalité des genres.”
Ólöf Hrefna Kristjánsdóttir, représentante permanente adjoint de l’Islande auprès de l’OMC, a dit que les coprésidents ont publié la déclaration car ils estimaient “qu’il était important d’avoir quelque chose à la 12e Conférence ministérielle (CM12) pour dire que, fondamentalement, nous allons poursuivre ce travail.”
Un paragraphe du projet de document final de la CM12 contient encore un paragraphe provisoire sur l’autonomisation économique des femmes. Celui-ci “que l’OMC, en collaboration avec d’autres organisations internationales compétentes, telles que la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et le Centre du commerce international (CCI), peut offrir un cadre pour s’engager sur ce sujet.” Cependant, comme le paragraphe est entre crochets, il pourrait encore disparaître du document final – si tant est que ce document soit adopté, ce qui est loin d’être certain.
Hypothèses sur les causes du retrait
Divers doutes ont été exprimés à propos du projet de Déclaration sur l’égalité des genres et l’autonomisation économique des femmes. Différentes hypothèses ont été émises quant aux causes du retrait de la Déclaration ce mois de juin.
L’une d’entre elles est que plusieurs pays en développement s’opposent à toute initiative plurilatérale sous quelque forme que ce soit. En outre, certains craignent que les travaux de l’OMC sur le commerce et le genre servent de cheval de troie pour introduire des conditionnalités liées aux conditions de travail dans l’OMC. Une ambassadrice d’un pays en développement a rappelé à IIDD la semaine dernière que “travailler sur l’égalité des genres à l’OMC peut être un moyen d’introduire les normes du travail par la porte arrière. Qui sait, peut-être mon pays verrait-il ses importations pénalisées parce que nous n’avons pas 50% de femmes dans les conseils d’administration de toutes les entreprises du pays.” Elle a ajouté qu’il serait inutile que l’OMC adopte une Déclaration si elle n’a pas l’intention d’entreprendre ensuite des négociations sur le sujet.
Une autre hypothèse concernait les ambitions de la CM12 revues à la baisse à l’approche de la CM12. La directrice-général de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, a déclaré dimanche que la Conférence résulte ne serait-ce en un ou deux résultats concrets, ce serait réjouissant. Dans ce contexte, certains ont pensé que le projet de Déclaration sur le genre était considéré comme moins prioritaire que d’autres sujets, et sacrifié afin de permettre de concentrer l’attention sur les questions prioritaires.
Comme de nombreuses autres questions à l’ordre du jour international, le projet de Déclaration sur le commerce, l’égalité des sexes et l’autonomisation économique des femmes a été affecté par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La Fédération de Russie était parmi les signataires initiales de la déclaration prévue par la CM12. Elle avait également approuvé la Déclaration sur le commerce et l’autonomisation économique des femmes au moment de son adoption en 2017 en marge de la CM11, qui s’est tenue à Buenos Aires, en Argentine.
Un certain nombre de pays refusent de discuter de toute initiative à laquelle la Russie participe, et refuse de participer aux réunions où la Russie est présente. Certains membres de l’OMC ont même voulu que la Fédération de Russie soit retirée de la liste des signataires de la proposition de Déclaration sur le commerce et le genre avant sa présentation pour adoption pour 12e Conférence ministérielle. Des sources confirment que c’est ce fait qui a entraîné la mise en veilleuse de la Déclaration. Les Etats-Unis ont déclaré qu’ils retireraient leur soutien si le nom de la Russie était maintenu. Les coprésidents craignaient que d’autres pays clés ne se retirent également, et qu’il serait de meilleur augure pour les travaux futurs sur le commerce et le genre de ne pas laisser les choses en arriver là.
Le commerce et le genre à la 12e Conférence ministérielle
Alors que des sujets tels que la sécurité alimentaire, la pêche, la renonciation aux vaccins et la réforme institutionnelle nécessaire et urgente retiennent l’attention de la plupart des pays au cours de cette conférence ministérielle, la question du genre ne fait pas les gros titres. Dans leurs déclarations, seuls les ministres de quelques pays ont fait référence aux travaux de l’OMC relatifs au genre. Le ministre australien du commerce et du tourisme a souligné l’importance pour l’organisation de travailler sur d’autres domaines importants tels que la question du genre, ajoutant que l’Australie souhaite “faire progresser et élargir les travaux du groupe de travail informel sur le commerce et l’égalité des genres.”
Le ministre islandais des Affaires étrangères a réitéré l’engagement de l’Islande à faire progresser la discussion sur le commerce et le genre à l’OMC, notant un consensus croissant sur les politiques commerciales inclusives qui augmentent l’autonomisation économique des femmes, ainsi qu’un mandat fort pour poursuivre le travail du groupe de travail informel à l’OMC. Le ministre jamaïcain des Affaires étrangères et du Commerce extérieur a noté que “l’OMC peut contribuer à élargir les opportunités économiques pour les femmes et à atténuer les effets disproportionnés des crises sur les femmes et les MPME.”
Le vice-ministre de l’économie de l’Ukraine a déclaré que son pays était intéressé par la redynamisation des négociations commerciales multilatérales et qu’il se félicitait également des résultats des processus plurilatéraux, notamment en matière de commerce et de genre. “Nous considérons que cette approche pourrait donner un élan supplémentaire au processus de revitalisation des négociations commerciales multilatérales,” a-t-il ajouté. À l’inverse, le ministre indien du commerce et de l’industrie a déclaré que l’OMC ne devrait pas négocier sur “des sujets non liés au commerce comme le changement climatique et le genre, qui relèvent légitimement du domaine d’autres organisations intergouvernementales.”
Le commerce et le genre en marge du CM12
Après l’ouverture de la 12e Conférence ministérielle, le CCI a organisé un événement sur les femmes dans le commerce, axé sur les besoins des femmes dans le monde des affaires et sur l’accroissement de la participation des femmes au commerce international. Lors de cette réunion, Mme Okonjo-Iweala a appelé les membres de l’OMC à intensifier leurs efforts pour que le commerce et les règles commerciales servent mieux les femmes. “Une OMC forte et efficace est essentielle pour ces femmes, ce qui est une raison de plus pour laquelle il est si important d’obtenir des résultats à la CM12 cette semaine,” a-t-elle déclaré. “Nous voulons que tout le monde sache que l’OMC se préoccupe des gens. Elle ne s’occupe pas seulement des règles, mais aussi des règles conçues pour aider les gens,” a-t-elle ajouté.
Une note d’information de l’OMC sur le commerce et le genre, préparée avant la 12ème Conférence ministérielle, rappelle que le commerce et la politique commerciale ont des impacts différents sur les hommes et les femmes, ces dernières pouvant être confrontées à des obstacles plus importants à la participation économique. Elle note que plus de 120 membres de l’OMC et le Secrétariat entreprennent des efforts pour intégrer les questions de genre dans les travaux de l’Organisation. Bien que la note d’information cite les propos de Mme Okonjo-Iweala selon lesquels “l’égalité des sexes est une question de droits de l’homme,” elle ne tient pas compte de la manière dont le commerce et les règles commerciales ont des effets négatifs disproportionnés sur les femmes.
Entre-temps, la Gender and Trade Coalition (GTC), un réseau de plus de 300 organisations féministes et en faveur de la justice économique, a adressé une lettre ouverte au directeur général et aux délégués de l’OMC. La lettre réaffirme que la libéralisation provoque et exacerbe de profondes inégalités structurelles qui ne peuvent être corrigées que par une refonte totale des accords de l’OMC. La lettre déplore qu’un groupe de membres de l’OMC fasse néanmoins pression en faveur d’une plus grande libéralisation et que les discussions sur le genre soient instrumentalisées pour promouvoir une plus grande libéralisation, sans qu’une discussion de fond sur les impacts négatifs des accords de l’OMC sur le genre ait pu avoir lieu.
Quel avenir pour les travaux de l’OMC sur le commerce et le genre?
S’exprimant à titre officieux, le délégué d’un pays fortement engagé dans des mesures d’égalité des sexes dans sa politique commerciale a déclaré que les travaux se poursuivraient à l’OMC. Des sources au sein du secrétariat de l’OMC le confirment, affirmant que l’absence de déclaration “ne changera absolument rien.”
Un autre délégué de l’OMC, actif dans le domaine du commerce et de l’égalité des sexes, se fait l’écho de ces propos: “En fait, cela ne changera pas grand-chose, si ce n’est que nous devons travailler autour d’un membre. Nous devrons nous asseoir et voir comment franchir les prochaines étapes, une étape à la fois. Nous comptons poursuivre les échanges techniques tout en examinant les moyens d’aller de l’avant en groupes plus restreints.” Elle a souligné que l’objectif n’est pas de créer de nouvelles règles, et comme de plus en plus de membres rendent compte des questions liées au genre dans le cadre de leurs examens des politiques commerciales, tirant comme conclusion que le sujet suscite de l’intérêt parmi les membres.
Les discussions autour des résultats possibles sur le commerce et le genre lors de la 12ème Conférence ministérielle mettent toutefois en lumière la nécessité de bien tenir compte des différents points de vue pour avancer de manière constructive. Les principaux acteurs doivent montrer qu’ils ne se préoccupent pas uniquement des normes relatives au travail des travail des femmes ou de leur accès aux marchés d’exportation. Les discussions à l’OMC devront explicitement prendre en compte un large éventail de données pertinentes et à tirer les conclusions des expériences – tant positives que négatives – comme base des travaux futurs.
“De plus en plus, les pays se rendent compte que les politiques commerciales sensibles à la dimension de genre doivent s’appuyer sur des analyses et des données pour que leurs bonnes intentions se traduisent dans la pratique,” observe Simonetta Zarrilli, chef du programme “Commerce, genre et développement” de la CNUCED.
L’OMC et ses membres doivent reconnaître que le genre est une question transversale, affirment Erin Hannah, présidente du département de sciences politiques de King’s University College de l’Université de Western Ontario, et Silke Trommer de l’Université de Manchester. “La Déclaration ministérielle sur l’égalité entre les genres et l’autonomisation économique des femmes ne sera peut-être pas adoptée pour l’instant, mais toutes les questions actuellement en cours de négociation à l’OMC ont des dimensions sexospécifiques qui devraient être prise en compte de façon explicite et prioritaire, qu’il s’agisse de subventions à la pêche, renonciation aux ADPIC, commerce électronique ou sécurité alimentaire.”
Read the English version of this policy brief here.
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The MC12 Outcome Document, dated 16 June 2022 and adopted by WTO members, contains a paragraph referring to gender. Its paragraph 13 reads: “We recognize women’s economic empowerment and the contribution of MSMEs to inclusive and sustainable economic growth, acknowledge their different context, challenges and capabilities in countries at different stages of development, and we take note of the WTO, UNCTAD and ITC’s work on these issues.” A footnote to paragraph 13 specifies that “[t]hese are general messages on cross cutting issues that do not change the rights or obligations of WTO Members (and do not relate to any Joint Statement Initiatives).”